I'm sorry - Tony

Tony bougea machinalement les doigts en l'air et diverses informations holographiques apparurent. Le minois concentré, l'Avenger était levé depuis l'aube pour continuer son travail : améliorer la technologie de Stark et en user afin de la mettre à profit des superhéros et du monde entier. Son cerveau de génie était à la solde de l'humanité et il était parfois difficile de dormir, pour le quinquagénaire, quand des idées lui trottaient dans la tête ; à peu près tout le temps, donc. Il avait l'habitude de mal dormir, de toute façon ; son passif d'alcoolique le hantait parfois, quand ce n'étaient pas les cris d'antiques batailles, les cauchemars qui affolaient son palpitant. Se faisait-il vieux ? Bah, le temps le déciderait. Il mourrait sûrement sur un champ de bataille, en sauvant la veuve et l'orphelin. Le Héros de l'Amérique - non, ça c'était Steve. La pensée de son comparse fit naître des émotions mitigées chez le brun ; déconcentré, il se recula d'un pas, le regard pensif ; la loi de la Précognition avait fissuré à nouveau leur amitié. Ils n'en étaient plus à leur première dispute, certes, mais serait-ce le dernier éclat, cette fois ? Il le craignait.

Pourtant Tony était persuadé de son choix. Depuis qu'il avait officiellement prit parti pour le camp de Xavier, il était compliqué de ne pas se vautrer dans l'incompréhension face au camp de Captain Marvel. Comment pouvait-on ... Non, concentres-toi, se morigéna t-il intérieurement, inspirant lentement pour calmer ses pensées éperdues. Pourtant, il était cruel et douloureux d'avoir perdu Cap dans l'affaire. Sa loyauté envers le gouvernement et l'autorité l'aveuglait-elle ? Pourtant, autrefois, il n'avait eu de cesse de se rebeller contre cette histoire de liste. Et c'était Tony qui avait reconnu cette tord ; sacrée idée de merde, quand on y songeait. Par bien des mesures, la Précognition y ressemblait - atteinte à toute liberté, aux choix et aux pensées des gens. C'était une nouvelle espèce d'esclavagisme qui empêchait des faits qui ne s'étaient pas encore commis. Avec un frisson, Tony songea qu'une telle puissance, pour Ulysse, relevait presque de la déification.

« — Friday, récolte les informations que Xavier m'a demandé. Tu - » Tony clot ses lèvres alors que le bruit de l'ascenceur se faisait entendre ; la vaste salle résonnait de la musique basse qu'il aimait tant, AC/DC, du bon vieux rock à l'ancienne. D'un claquement de doigt, la musique baissa encore d'un degré, à peine audible ; froissant son sweat-shirt, Tony croisa les bras et fit volte-face alors que la porte s'ouvrait, sans bruit ou presque et que la voix familière, grave et mélodieuse, de Steve se faisait entendre. Il aurait pu demander à Friday l'identité de la personne ; il savait que s'il avait couru un danger, il en aurait été informé ; il ne demanda rien et la surprise teinta son visage en observant les traits de son ami. Sourcils haussés, Tony aurait eu l'air presque comique s'il n'avait pas émané tant d'émotions. Il n'osait rien dire, de peur d'effrayer ... qui ? Steve ? Lui-même ? Le courage qu'il avait fallu au captain pour venir ?

« — Bonjour, Steve » répondit le brun, d'une voix lente, douce, dont il fit l'effort de chasser l'étonnement. Il se rabroua intérieurement et offrit enfin un petit sourire, de ses rictus charmeurs habituels, à son compagnon Avenger. Il était heureux de le revoir, même en ces temps troublés ; il ne savait si le guerrier venait pour discuter ; sûrement pour tenter de le convaincre à ses arguments. Il était ainsi - il voulait le bien de tous, et cette candeur, cette gentille, cette douceur chez lui le rendaient spécial et précieux aux yeux de Tony. La familiarité, l'ordinaire de cette scène - Steve dans cette pièce, avec lui - faisait remonter bien des discussions qu'ils avaient pu avoir. Il regarda calmement le blond poser son casque de moto et l'invita enfin à s'installer d'un geste de la main.

« — Je peux bien te faire une place dans mon agenda » rétorqua t-il avec cette capacité à être à la fois provocant et drôle, un rien cynique. Il haussa les épaules et, délaissant les items mécaniques, les rouages et les holographes, il s'approcha d'un caisson réfrigérant. « — Une bière ? Je peux te proposer plus fort, si tu le souhaites » ajouta t-il d'un air amusé ; il doutait que Cap se soit mit à la boisson, mais il aurait sans doute besoin, lui, d'un remontant si Steve était venu lui faire la morale. « — Tu m'as l'air fatigué. Ou ces petites rides que je vois étaient-elles déjà là avant ? » Clin d'oeil à nouveau amusé ; il plaisantait, mais l'inquiétude était réelle, amicale. Il invitait par là Steve à s'épancher s'il en avait besoin. Ils avaient beau être en désaccord, il voulait toujours voir en lui un précieux allié, mais surtout son ami.

Friday s'était tue ; Tony ne voyait pas en Steve une menace ou un danger ; non pas qu'il n'eut pu pas l'être, mais il n'était pas venu dans des intentions hostiles. C'était un homme trop bon pour attaquer quiconque dans le dos, de toute façon. Le sourire de Tony s'aggrandit à l'acceptation de Steve et, deux bières fraîches à la main, il alla se poser face à Steve dans un siège. Il ne réalisait que maintenant sa propre fatigue, son arrogance à pousser encore et toujours son corps et son esprit dans leurs retranchements pour aider autrui. Mais il n'était pas le seul - d'autres que lui faisaient ce sacrifice, et le blond devant lui en était l'exemple parfait. Le Héros de l'Amérique, oui - il méritait ce titre, et Steve avait à la fois vécu beaucoup de vies tout en étant retranché de ses meilleures années. Bloqué dans les glaces éternelles, il avait dû s'accorder à cette époque étrangère à ses yeux ; combien cela avait dû être compliqué, comparé à un Tony Stark baignant depuis son enfance dans la technologie poussée de l'industrie paternelle. Tony but une gorgée et émit un grognement.

« — Ton grand âge te rattrape, c'est ça, Papy America ? Allons, Steve, je ne plaisantais qu'à moitié. Tu as toujours l'air aussi jeune - ce qui est assez exaspérant, de mon point de vue sache-le. » Il eut une petite grimace amicale ; lui-même sentait le temps s'en prendre à sa carcasse et il était moins clément qu'avec Steve. Le blond avait le double de son âge, mais uniquement par la naissance. Rejetant toutes ces pensées, le brun se concentra soudain sur le discours de son ami ; il avait eu bien raison de proposer à boire. Nulle joyeuseté, mais Steve avait raison. Les conflits marquaient les gens comme les âmes. Il soupira doucement et continua d'observer Steve, le regard un peu plus tendre qu'un instant auparavant. Il se sentait inclus dans la dernière catégorie - Steve avait-il du mal à le reconnaître ? Avaient-ils changé à ce point, l'un et l'autre, pour devenir de tels étrangers ? C'était douloureux à entendre. Les yeux sombres captèrent le mouvement de Steve, le redressement de son dos, sa haute stature, puis leurs regards s'accrochèrent avec sincérité.

La suite laissa Tony saisi. L'écho d'une ancienne conversation lui revint ; c'était lui qui faisait ses excuses, lui qui revenait sur ce qu'il avait choisi, sur ce qu'il avait fait, dit. Mais, à présent, Steve revenait à lui pour la même raison ; parce qu'il avait eu tord et qu'il le reconnaissait. Il fallait une grande force, des épaules puissantes pour soutenir un égo blessé ; Tony se redressa à son tour, le visage grave. Malgré l'envie de reprendre la parole, Tony le laissa finir ; son visage exprima combien il compatissait. Captain Marvel était sûrement l'une des plus entêtées à propos de la Précognition. Lâchant sa bière à peine entamée, Tony se pencha sur l'espace entre eux et posa sa large main sur l'épaule de Cap ; sous ses doigts, la musculature du blond lui paraissait puissante, presque vibrante. Concentres-toi !

« — Je suis heureux que tu reviennes, Steve. J'avais imaginé que tu étais venu tenter de me faire gagner ton camp, alors je suis agréablement surpris. Je ne vois pas en tes actes un retournement de veste. Tu ne tournes pas le dos aux innocents : tu les protèges, au contraire, d'une entité trop grande, trop puissante. La Précognition ne laisse aucune chance, à personne. Où se trouve la liberté, les choix, l'hésitation ? La rédemption ? Heureux que tu ouvres les yeux et que tu aies pu y réfléchir à nouveau, mon ami. » Son ton avait prit des accents passionnés ; quand il argumentait pour ses choix, Tony savait avoir des allures de véritable chef, de leader charismatique. Il sourit encore une fois ; il n'avait pas lâché Steve, comme pour lui faire sentir le poids de sa présence amicale, comme pour lui faire savoir qu'il n'était pas prêt à le laisser s'échapper à nouveau.

« — Captain Marvel s'est entêtée dans une mauvaise décision. Difficile de lui faire reprendre raison, surtout qu'elle est convaincue de ce qu'elle prêche. » Il haussa les épaules et, lâchant enfin Steve, il reprit sa bière et en but une longue gorgée. « — J'épaule Xavier sur la collecte d'informations - aidé par Friday, bien sûr. » « — Bonjour, Mr Rogers. » La voix artificielle s'élança dans l'air, calme et inhumaine. « — Est-ce que tu l'as rencontré ? Ulysse » précida Tony, curieux. Il s'était levé et se tenait debout, une main dans la poche de son pantalon, l'autre tenant sa bière ; il dévisageait Steve avec avidité. Comme il était bon de le revoir là où était sa place, dans la tour des Avengers. « — Tu sais, tu prends les choses trop à coeur. Enfin, qui ne le fait pas ? Ce que je veux dire, c'est que tu devrais te reposer et prendre soin de toi, Steve. Ne laisse pas tout cela te ronger. Si on devait te perdre ... » Tony émit un nouveau grognement pour cacher l'inquiétude que l'idée faisait régner en lui, obscurité terrifiante. « — Décidémment, nous avons le chic de choisir nos sujets de conversation, hein ? On pète la forme, on rayonne de joie » grinça Tony avec un nouveau rictus amusé et ironique.

« — Tiens, je change de sujet mais t'ai-je déjà montré les plans que j'avais dessiné pour améliorer ta vieille carlingue de moto ? Ne me lance pas de regards noirs - elle pourrait vraiment être meilleure, crois-moi, tu te satisfais de peu. » Clin d'oeil charmeur, comme pour enterrer toutes les terreurs dont ils avaient parlés, comme pour enterrer la hache de guerre, comme pour enterrer la situation dans laquelle ils étaient. Il attrapa un objet sphérique sans rapport avec la conversation et, jouant avec son gantelet d'armure jaillie soudain de sa main, fit graviter la balle de métal, histoire d'avoir quelque chose dans les mains pour s'occuper. C'était ça ou être tenté de remettre sa main sur l'épaule de Steve, et ça aurait pu paraître bizarre.

Tony eut un gloussement retenu ; le ton amusé, faussement ronchon, de Steve était un plaisir à entendre. C'était dit affectueusement et tous les deux le savaient. C'était déjà comme une main tendue entre eux. Et les discours qu'ils eurent chacun leur tour étaient, eux aussi, autant de façon de revenir l'un vers l'autre. Tony détestait devoir mentir, et cela ne lui était pas venu à l'esprit depuis longtemps avec les Avengers, notamment Steve. L'honnêteté, cette fibre patriote et foncièrement bonne chez le blond avait peut-être déteint sur le milliardaire fantasque. Pas assez pour le faire cesser ses taquineries régulières, mais il s'était clairement assagi - où étaient ses frasques amoureuses, les mannequins à ses bras, ses conquêtes d'un soir, ou pire, ses excès d'alcool, les unes des journaux ? Il avait un peu laissé tomber tout ça ; surtout le côté homme à femme. Plus le temps, plus l'envie ; c'était trop complexe à tisser, trop difficile à maintenir, et comme beaucoup de super, la dimension héroïque intervenait. Il ne voulait pas mettre en danger quiconque. C'était donc plus simple pour lui de se plonger dans sa vie d'homme d'affaires ou de super-héros.

Entendant Steve saluer l'Intelligence Artificielle, Tony devina qu'elle allait se faire une joie de rétorquer, ce qui ne manqua pas ; « — Je suis heureuse également de vous revoir, monsieur Rogers ! Et si je peux ajouter, vous avez beaucoup manqué à Monsieur Stark, qui - » « — C'est que tu deviens bavarde ! Va t-en, Friday. » Il avait émit un début d'exclamation quand l'IA s'était mise à se jouer de la situation ; peut-être n'aurait-il pas dû implémenter des synapses émotionnels. Elle était capable de penser et d'agir mais aussi de ressentir ; elle était surtout très joueuse et de toute évidence, elle avait eu envie de confier combien le fait que Steve ait choisi l'autre camp avait été dur pour Tony. Il eut un raclement de gorge, haussant les épaules comme pour interdire à Steve de s'appesantir sur le sujet ; c'était un brin gênant pour le milliardaire qui détourna les yeux, essayant de ne pas rougir comme un adolescent.

La réponse de Steve concernant Ulysse n'étonna pas Tony. Il était pourtant curieux, et il aurait donné une partie de sa fortune pour pouvoir parler en tête à tête à cet Oracle de l'époque moderne. Pensif, il ne remarqua pas le regard de Steve. Par contre, il capta celui, noir, qu'il lui lança comme prévu quand il parla de la bécane du blond. Tony prit un air de gamin fier de lui et de sa bêtise, un large sourire fendant son visage ; « — Hé, c'est qu'il mord, le captain, quand on touche à son bébé de métal. C'est mon job de faire des blagues d'habitude. » La sphère métallique allait et venait en l'air, sous son mouvement ; alors qu'il allait ajouter quelque chose, Steve lança une saillie qui le fit éclater de rire, d'un rire franc et amusé, qu'il n'avait plus laissé échapper depuis longtemps. Il se tint un instant les côtes, laissant la sphère métallique flotter puis revenir à sa place sur la table. « — J'oubliais que tu es marié à cette bécane, Steve. Tu pourrais trouver plus jeune et plus ... sophistiqué, plus moderne » et, réalisant les divers sous-entendus qu'il faisait sans faire exprès, il désigna du doigt les mécanismes sur sa table ; il parlait bien entendu de rajeunir et d'améliorer la moto. Non de lui - et puis, il semblait plus vieux que Steve, c'était stupide, tout cela. Il n'avait rien mangé de la journée, la bière lui montait à la tête, voilà tout. Ou l'ivresse de la joie de revoir Steve dans cette pièce, près de lui peut-être. Il avait encore les doigts gourds d'avoir posé ses dextres sur son épaule. Cette sensation de chaleur humaine, le léger battement du coeur contre la peau. Tony secoua la tête et apprécia l'intervention de Steve pour le sortir de sa stupeur.

Il claqua des doigts et la musique revint - when the wind will blows, cette fois, d'Iron Maiden - vaguement plus forte - il aimait être théâtral, Tony. Son sourire de grand gamin était à nouveau sur ses lèvres ; cet air passionné, intelligent, provocateur et fier qui venait à ses traits à chaque fois qu'il exposait ses plans sortis de sous son crâne. « — Vos désirs sont des ordres. Friday ! » et il ajouta, plus bas, à l'ordre de l'IA, « — Montre les plans M-2002SR. Et sois sage. » Divers hologrammes jaillirent, bleutés, illuminant la pièce dont la luminosité baissa pour discerner au mieux les plans. Tony s'approcha des images holographiques, rayonnant de fierté et d'ingéniosité, comme un gosse qui voudrait prêter ses jouets. « — Comme tu le dis, ta moto est un modèle pas si jeune que ça. Elle fonctionne - mais elle pourrait te proposer d'autres possibilités. » Il fit jaillir des imageries mécaniques, démontrant des socles simples de moto démantibulées, puis réassemblées à des niveaux plus ou moins technologiques. Il se racla la gorge et se tourna vers Steve, bras croisés sur son poitrail. « — Comme tu es de l'époque des dinosaures, je t'ai fais quelques modèles avec peu de changements, mais j'ai aussi créé ceci ... Friday, modélisation 3D. » Sous leurs yeux, une moto qui héritait de certaines compétences de son armure s'assembla, aux couleurs du capitaine et du drapeau américain ; l'image se mit à voler, propulsée comme l'armure du superhéros. Diverses autres capacités revenaient, comme des radars à la pointe de la technologie ou des systèmes de communication à très grande distance. Il avait, de son plein gré, imaginé quelque chose qui soit une partie de lui - n'était-il pas IronMan ? Il fit un mouvement des mains et la modélisation cessa et disparut, ne laissant que les plans.

« — Bah, ce ne sont que des idées, mais tu es libre de me demander ce qui te ferait plaisir - une moto en forme d'aigle patriotique, peut-être ? » taquina t-il le Captain d'un air de défi joueur, avant de rire tout bas. Il alla rechercher sa bière et la finit d'une longue gorgée avant de passer sa main dans sa barbe, puis sur ses yeux pour en chasser la fatigue. S'il avait plaisanté sur l'air crevé de Steve, de quoi devait-il avoir l'air, lui ? Steve avait pour lui le sérum qui lui permettait, corporellement, d'être d'une forme olympique. Il n'aurait pas dis non à une petite dose, là tout de suite, si ça lui permettait de se sentir moins à côté de ses pompes. Remarquant que les plans portaient tous la date et le temps passé sur ces derniers - les dates étaient anciennes, preuves de son attachement au captain, et les heures de travail et d'amélioration ne se comptaient plus, tant il y avait passé des nuits d'insomnie pour proposer à Steve ce qu'il pouvait de mieux - il fit disparaître les hologrammes d'un air têtu.

« — Je ne sais même pas quelle heure il est et ... » « — Nous sommes en milieu d'après-midi, monsieur, 15 heure 12 pour être exacte. » « — Merci Friday, mais je ne demandais pas ... » « — Monsieur, vous êtes debout depuis l'aube et vous n'avez rien mangé ; puis-je me permettre de remédier à cela ? » Tony coula un regard à Steve et leva les yeux au ciel comiquement, avant de grimacer, toujours comme un grand enfant qui entend sa mère le réprimander. « — Je crois que Friday me passe un savon, Steve » murmura t-il en prenant un air faussement effrayé, comme si l'IA pouvait réellement le réprimander, avant de sourire : « — Tu as mangé ? Il faut bien nourrir ces ... tonnes de muscles et de pectoraux » finit Tony en faisant une mimique, comme si l'idée de toute cette masse musculaire était insupportable ; c'était exactement le contraire. Captain était un grand gaillard, et la plupart du temps, on n'avait pas besoin de deviner combien sa musculature était puissante ; sa façon de se mouvoir était féline, agile et empreinte d'une force qui fit frissonner Tony.

« — Hormis toutes ces histoires, Précognition, Captain Marvel et ta bonne vieille bécane, racontes-moi un peu quelles ont été tes aventures, ces derniers temps.  » Il était étrange de se dire que Tony voulait en entendre autant de la bouche de Steve, autant pour s'informer de son ami que pour entendre sa voix. Il était rassurant de l'écouter, comme si toutes ces disputes, toutes ces dissensions n'avaient jamais eu lieu. A le voir ainsi, dans son atelier, Tony pouvait s'imaginer revenir au bon vieux temps - mais, après tout, ce temps présent n'était-il pas tout aussi bon ? Un sourire amical, tendre et affectueux étira ses lèvres alors qu'il dévisageait à nouveau son compagnon. Oui, Steve lui avait énormément manqué - lui, ses quinze mètre de haut et sa barbe mal rasée. Cela lui allait terriblement bien - cela donnait à ses traits une virilité qui allait de pair avec sa stature et lui offrait une aura plus mystérieuse, moins juvénile. Tony retint un rire en s'imaginant lui proposer d'apprendre à se raser comme lui, en sous-entendant qu'il devait sûrement être son mentor, son idole, mais il retint la raillerie, préférant laisser la parole à son ami.

Friday pouvait être parfois enquiquinante au possible. Quel besoin avait-elle de divulguer une telle information ? Certes, Steve lui avait manqué, au point qu'il en avait longuement discuté seul à voix haute. Il avait aussi parlé des autres Avengers, de pas mal de monde en fait - le secret des génies, les dialogues à haute voix, peut-être. Cela avait dû amuser follement l'intelligence artificielle que de lâcher cette information. Bah - c'était logique que son comparse lui ait manqué. Au moins, il n'avait rien ajouté et le terrain de la conversation était revenu à quelque chose de moins ... intime.

« — Si c'est le cas, tu en as de la chance, ce n'est pas donné à tout le monde » rétorqua Tony d'un air crâneur, comme à son habitude. Leurs échanges étaient devenus beaucoup plus détendus, au point que leur dissidence semblait presque effacée. Steve était revenu à la raison, et il suffisait simplement de continuer d'avancer. Pourtant, Steve ramena la conversation à un point sensible et Tony fit semblant de ne pas voir le sous-entendu ; Steve était trop candide, trop innocent pour volontairement faire ce genre d'allusion. « — Bah, au final, nous sommes partenaires, comme tu dis, et on peut également dire que je suis plus jeune et plus moderne, tout concorde - charmant aussi, et parfait, si tu veux mon avis, c'est tout moi. Tu trompes donc ta bécane avec le plus rutilant des bolides, Steve ? » Il fit apparaître son armure sur son bras avant de la faire disparaître, dans un geste hardi et arrogant. Il ne voulait pas que Steve croit qu'il parlait de lui - tout se mélangea dans sa tête, et il secoue le crâne. Allons bon, il était trop vieux pour ces histoires-là. Son âge se faisait sentir, heureusement que ses armures et le virus technico-organique lui permettaient de ne pas mal vieillir. Et puis, ne disait-on pas que les hommes gagnaient du charme en vieillissant ? Mieux valait éloigner cette conversation. Steve avait le don de le troubler ! Son retour avait amené la joie en le coeur du super, mais à présent, c'était le doute et l'ébranlement qui menaçaient son esprit.

Sentir la proximité de Steve, alors qu'ils observaient les hologrammes, lui fit tourner la tête ; il se détourna des informations qu'il connaissait par coeur et observa le visage de son ami, apparemment bien décidé à tout retenir et à tout assimiler. Encore une fois, la complexité de la chose pour Steve, alors que tout était si naturel pour le brun, le titilla ; ils s'étaient déjà maintes fois entraidés, Steve lui enseignant les bases du combat à mains nues, Tony l'aiguillant sur le chemin de la modernité et de la technologie. « — Intéressant ? C'est comme cela que tu dis sans défaut et incroyables de perfection, toi ? » Tony eut un petit sourire amusé, il aimait provoquer et défier les gens avec ses piques, d'autant plus ce cher Captain et sa si bonne âme. Il aimait le voir se rebeller et lui répondre - ça lui faisait un petit frisson quand il voyait son regard effronté, qu'il entendait sa voix avec tant de répondant.

Refermant le tout, jugeant que Steve en avait assez vu - et espérant qu'il n'avait pas remarqué certaines informations - Tony grimaça quand Friday se mêla de nouveau de le mettre dans l'embarras. Steve y ajouta une couche et Tony roula des yeux d'un air gamin. « — J'oublie de manger, je ne jeûne pas volontairement. Mais très bien, vous avez décidé de la jouer parents poules. Tu me rends la pareille pour quand je veillais sur toi, autrefois, quand tu étais dans ta gangue de glace, Steve ? »  souffla t-il d'un air amusé, canaille. Au final, c'était agréable qu'on s'inquiète pour lui, surtout si c'était Steve. Il suivit à pas mesurés la grande carrure de Steve, s'interdisant d'observer - pour la science ! - la manière dont son corps se mouvait avec cette grâce et cette puissance félines. Il l'avait maintes fois vu se battre et c'était toujours un spectacle fascinant.

Ils descendirent à la cuisine de l'étage du dessous ; comme toute la tour Stark, elle était équipée des derniers bijoux de technologie. S'asseyant pesamment dans une chaise confortable, Tony s'étira avant de masser ses épaules crispées d'avoir travaillé penché sur sa table holographique toute la nuit.  « — Froid. Quelque chose de rapide, peu m'importe. Oh, et du café »  rêva t-il à voix haute ; aussitôt, une cafetière hors de prix se mit à glouglouter. Friday avait entendu et préparait le breuvage préféré de son maître et créateur. Tony eut un sourire de vainqueur, rempli de fierté. Puis, il tapota la place devant lui, avide et curieux. « — Allez, raconte-moi ! Tu fais bien des mystères. Me caches-tu quelque chose de croustillant ? » Et il joua de ses sourcils comme si Steve avait quelque secret coquin camouflé quelque part. Tony en doutait - quoique, Steve était plein de surprises ces derniers temps. Attrapant une fourchette, Tony se mit à manger lentement, sans réel appétit, plutôt affamé des nouvelles que Steve pouvait lui raconter.

« — Sers-toi si tu désires quelque chose. Tu es ici chez toi, ai-je besoin de le préciser ou de le répéter ? » s'enquit Tony calmement, comme s'il déposait là une vérité fondamentale. Il était important, à ses yeux, que Steve se sente à la maison. Qu'importait leur conflit, tout était réparé et tout irait mieux. Steve était là. Tony s'adossa à ses chaises et, tout en passant une main sur son épaule droite engourdie, il observa Steve à nouveau. La lumière ici était plus forte, et il pouvait voir la luminosité dorer ses cheveux, creuser des méplats dans ses traits. Il connaissait ce visage par coeur, à force de l'avoir dévisagé - durant leurs meetings, durant leurs combats, durant leurs entraînements. Il était soulagé, Tony, de le savoir à nouveau à ses côtés. « — Le café est prêt, messieurs » chantonna Friday d'un timbre serviable ; Tony sentit effectivement l'arôme du café dans la cuisine. A quelques mètres d'eux, une gigantesque baie vitrée donnait sur la ville ; délaissant son repas, il alla chercher deux tasses et leur servit la boisson chaude et forte puis jeta un coup d'oeil en bas. Il avait soudain envie de faire un tour - peut-être tout à l'heure. Là, il voulait profiter de la présence de Steve, comme on profite d'un rare rayon de soleil ou de la caresse chaleureuse d'un ami. « — Je suis vraiment heureux que tu sois là, partenaire. » Il avait murmuré ça d'un ton bourru et il but une gorgée de café brûlant, comme pour camoufler sa gêne d'avoir réellement prononcé ces mots. « — Je songe, à présent que tu reprends ta place à la tour, que nous pourrions reprendre nos entraînements. Je manque d'hématomes, ces derniers temps » plaisanta t-il avec un sourire mi-figue mi-raisin.

Partager à nouveaux rires et regards était panacée pour l'esprit en ébullition de Tony. Il n'avait, finalement, pas perdu son allié de toujours. Les débuts avaient été parfois complexes, mais quel groupe de superhéros peut se vanter d'avoir immédiatement débuté dans la joie et la bonne humeur ? L'amitié qu'il avait avec Steve avait eu des hauts et des bas, mais si elle s'était fissurée à cause de différences, leur volonté commune d'aider les autres, de sauver des vies et d'être utiles ne pouvait que les rapprocher. Tony sourit à Steve, acceptant le compliment à moitié caché - rutilant, oui, non seulement pour son armure d'or et de carmin, aussi brillante qu'un soleil, mais pour son caractère si fantasque et exubérant, dont la presse était si friande. Steve en profita pour piquer l'égo du brun, l'estampillant modeste avec ironie, mais cela fit uniquement rire le milliardaire. Il acceptait la pique ; il savait combien il pouvait être narcissique, parfois, mais tout cela ne relevait que de la mascarade - la plupart du temps. Il faisait le malin, parce que c'était là la seule défense qu'il connaisse.

« — Et tu vas me donner la bequée, aussi ? » grommela Stark d'un air bougon, mais le sourire démentait le timbre ronchon qu'il avait prit. Manger ne lui ferait pas de mal, surtout si Steve agrémentait son repas d'anecdotes. Tony observa son ami préparer la nourriture ; il était rare que le brun partageât un repas avec d'autres que ses conquêtes, et le plus souvent dans des restaurants hors de prix. Hormis ces situations, manger était une corvée plus qu'un plaisir - si l'on ne comptait pas le plaisir de l'alcool. Mais Tony savait que sa façon de vivre était bancale, gauche, et qu'il devait se reprendre en main. Cinq fruits et légumes par jour, on sait. Steve s'installa près de lui et Tony se sentit immédiatement rassuré, apaisé. Le terme de soldat fit tourner les yeux d'obsidienne sur le visage du blond. « — C'est faux. Tu n'es plus ce militaire qui ne pense plus. Tu pensais vraiment choisir le bon camp. Ne te dénigres pas ainsi. La preuve, tu as réussi à choisir le côté lumineux de la force, jeune Padawan. » Petit sourire en coin ; Steve allait-il comprendre la référence à la culture populaire ? Il était du devoir de Tony de faire comprendre à son ami qu'il n'avait pas à se flageller pour ce qu'il avait fait. Le brun donna une accolade bourrue, épaule contre épaule, à Steve, confiant qu'il lui avait manqué. La remarque de Steve quant à leurs entraînements fit naître une nouvelle mimique sur le visage si expressif de Stark. Il lâcha du regard le paysage pour se tourner vers son comparse.

« — Ce doit être mon égo qui pèse trop sur ma garde » souffla t-il, mais il nota la critique constructive dans un coin de son esprit. S'ils reprenaient l'entraînement, il allait devoir s'y remettre sérieusement. L'idée même d'à nouveau échanger des passes avec Cap' excita le caractère combattif et défieur de Tony. « — Personne n'y a mis les pieds. Je l'ai défendu. Ta chambre est à toi. Hormis si tu souhaites déménager pour plus de commodité ? » Pourquoi n'ai-je pas intimé qu'il n'y avait plus aucune chambre de libre hormis la voisine de la mienne ? Pourquoi ai-je ce genre d'idée maintenant ? Tony toussota pour camoufler le trouble qui avait un instant hanté son imagination, et sauta sur l'occasion de changer de sujet quand Steve reprit la parole. « — Dois-je comprendre que je ne suis pas aussi facile à battre, mon cher ? » Nouveau sourire, comme si tout était compliment pour ses beaux yeux. Si Steve l'admettait comme un adversaire décent, Tony serait aux anges ; les capacités de Captain America au combat n'étaient plus à douter. Il était l'un des meilleurs guerriers qu'il connaisse - et cela incluait Hulk et Thor. Steve était capable de stratégie, de force, de puissance mais aussi de détermination, de bienveillance, de courage.

Tony reprit pied dans la réalité et son esprit glissa de nouveau ; doux, gentil, au début ? Il écarquilla les yeux une seconde avant de comprendre et cacha son air perplexe et presque déçu dans sa tasse de café, avalant une nouvelle gorgée brûlante. « — Sois surtout toi-même. Je ne suis pas aussi ignare que ça, quand même ? Je n'ai pas besoin qu'on soit doux. Au contraire ; bouscule-moi, fais-moi sortir des sentiers battus. Je dois améliorer mes techniques. Mais comptes sur moi pour ne plus me retenir » gloussa t-il en souriant d'un air défiant et joueur. Avait-il la moindre chance face à la forte musculature de Cap ? Peut-être. Non, honnêtement, aucune - même avec ses réflexes et ses sens décuplés par le virus. Une fois, Steve avait demandé ce qu'il était sans armure. Il avait répondu un génie, milliardaire, playboy et philanthrope. Ce n'était pas faux - même si le côté playboy avait disparu - mais il n'avait pas le sens inné du combat qu'avait Cap. Sans ses armures, sans ses gadgets, il était vulnérable. Et il détestait ça, pour l'avoir connu.

« — Tu veux faire un tour à ta chambre ? Elle est restée comme tu l'avais laissée. Je n'y suis jamais rentré - es-tu du genre à laisser traîner les t-shirts sales sur un coin du lit, ou au contraire, as-tu gardé l'ordre maladif militaire qu'on inculque aux soldats ? » plaisanta Tony en finissant sa tasse ; il la déposa dans l'évier qui, aussitôt, la lava. Il repoussa ses cheveux sombres en arrière, ragaillardi par le repas et le café. « — Où vivais-tu, ces derniers temps, sans la tour ? » demanda t-il, curieux. Il imagina Captain sous les ponts, puis son imagination s'enflamma et il ne douta pas que bien des gens seraient prêts à lui ouvrir la porte, voire leurs draps. C'est qu'il était populaire et célèbre. Tony retint une grimace. Il était possessif et jaloux, deux traits de caractère qu'il n'avait jamais su maîtriser ; sa surprise fut de taille quand il réalisa que l'idée que Steve ait pu dormir chez d'autres, dans des environnements où il pouvait être victime de menaces, sans qu'il puisse y faire quoi que soit, sans que Tony ne puisse intervenir, le mettait dans une colère sourde.

« — Monsieur, un message du journal The Globe. Ils veulent savoir si vous accepteriez une interview au sujet de votre prise de position pour la Précognition. Et aussi un encart un peu plus personnel - vos frasques semblent manquer au grand public » chuchota Friday dans son communicateur au poignet. Il roula des yeux et répondit : « — On verra plus tard, je n'ai pas la tête à ça. Ha, les gens, donne leur du divertissement, ils t'adulent, enlèvent leur cette vue sur ta vie privée, ils en veulent encore plus. » Il porta la main à son front tel une diva et eut un rire bas. « — J'ai finalement appris qu'une vie privée, ça pouvait être, eh bien ... privé. Et c'est très gratifiant. Je pense que ça interpelle de ne plus me voir avec des mannequins aux bras. » Il haussa les épaules et sortit en trombe de la cuisine, bouillonnant d'idées comme à son habitude. « — Maintenant que je t'ai sous la main, que veux-tu faire ? J'ai bien envie de dérouiller mon armure, mais à présent que nous avons parlé d'entraînement, je dois avouer qu'il n'y a pas que l'armure à dérouiller. Transpirer un peu ne me ferait pas de mal. Mais je ne veux pas t'accueillir en te cognant dessus tout de suite - les festivités ne font que commencer. » Nouveau contact, à nouveau sa main sur son épaule, amicale, affectueuse. Il souhaitait vraiment fêter le retour de Steve, d'une façon marquante pour eux deux, sans savoir où poser son imagination. « — Je suis trop bavard. Je te fais tourner la tête, à babiller comme ça - que veux-tu, je suis un vrai gosse, tout excité de voir son ami de retour du camp de vacances. » Toujours ces plaisanteries, comme s'il pouvait cacher combien le retour de Steve était un poids en moins sur ses épaules. « — Que veux-tu faire ? Peut-être que tu avais d'autres choses de prévues. » Il est le pdg multimilliardaire des deux, mais cela n'empêche pas Steve d'avoir une vie. Des amis. D'autres gens à voir. Tony se décale de Steve, retirant sa main, gardant son allure amicale et attentive cependant. Il était plutôt du genre à décider pour les autres, la faute à un trop plein d'énergie, mais il voulait laisser décider Steve, le laisser mener la barque de son retour. Quoi qu'il demande, il l'aurait.

Tony espérait que Steve avait cru ses paroles. Il était sincère ; s'il avait autrefois vu en le Captain une idéologie peut-être trop naïve et un patriotisme frôlant la lobotomie, il avait rapidement changé d'avis. Steven symbolisait bien plus qu'un simple surhumain. Il était pétri d'idéaux chevaleresques, c'était un homme bon qui savait réfléchir à ses actes et qui défendait la liberté. Au final, c'était presque naturel qu'il soit revenu dans le camp de ceux qui défendaient les choix et les valeurs qu'il portait en lui. La Précognition interdisait tout cela - elle interdisait aux gens de se défendre, elle leur prenait leurs actes, leurs dilemnes, et les enfermait sans que quoi que ce soit eut été fait. Pour une sécurité relative, pour écarter toute peur, la Précognition renonçait aux principes qui faisaient la base de la Nation Américaine. Voir Steve revenir sur son choix et se résoudre à rejoindre le camp de ceux qui soutenaient les opprimés, voilà qui était bien plus naturel. Tony ne pouvait mettre de mots sur le soulagement intense qui lui prenait les côtes - Steve avait sa place à ses côtés, comme toujours et à jamais.

« — Tu chauffes, il y avait bien Star dedans. Tout n'est peut-être pas perdu avec toi » souffla le milliardaire avec un air mutin. Il leva deux doigts - la seconde réponse, Star Wars, mon cher. Il s'amusait follement de voir Steve aux prises avec la culture et la technologie ; c'était divertissant de le voir faire autant d'efforts pour s'acclimater, c'en était même adorable par certains côtés. Et puis, Tony pouvait toujours se rassurer : il avait toujours ça pour lui. La technologie c'était son domaine ; il savait que sur bien des plans, Steve le battrait toujours. Il était le meilleur guerrier, en terme de combat brut, qu'il connaisse ; certes, Hulk et quelques autres pouvaient battre sa force primitive, mais Steve était un stratège et Tony savait que, quoi qu'il lui en coûte, Steve aurait toujours l'ascendant dans une bataille au corps à corps. Du moins, sans son armure. Le brun hocha la tête ; il était tout naturel que cette chambre revienne à son véritable possesseur. « — Tu es chez toi, Cap. »

Tony eut une grimace et roula des yeux à la remarque - pertinente - de Steve. « — Tout est fait pour me déconcentrer, c'est ça, être un génie » mais il taisait, Tony, combien certaines choses étaient plus déconcertantes que d'autres. Quelques images d'entraînements s'imposèrent à son esprit, et la musculature de Steve, son air concentré étaient au top du classement des choses troublantes du tableau. Il fut gré à Steve de lui répondre pour chasser les réminiscences de sa mémoire ; il n'était pas temps de s'attarder sur de vaines reliques de son esprit. « — Et c'est moi le prétentieux ? » se moqua t-il gentimment ; il connaissait pourtant la vérité et Steve avait totalement raison. « — Bon, peut-être qu'avec la moitié de ta force, on s'en contentera. Je voudrais éviter d'abîmer ce joli minois » dit-il en désignant son faciès, avec un sourire faussement charmeur. Comme toujours, de l'esbrouffe, en voulez-vous, en voilà. Tony était ainsi - ce besoin de jouer, et de séduire tout ceux qui l'entouraient, c'était ainsi qu'il vivait. Il voulait qu'on l'aime, ce qui était bien naturel, après tout - n'était-il pas génial ? Mais, surtout, il voulait faire naître l'admiration, la fierté dans le regard du blond. Ces émotions n'avaient jamais autant de saveur que dans les yeux bleus du héros.

La remarque de Steve sur sa chambre fit rire Tony. Il imaginait à présent Steven en train de jouer à l'homme de ménage. « — Amusant, comme tu aimes l'ordre au point de ne pas soutenir le désordre, même dans tes vêtements. » Il s'interdisait d'imaginer le tableau que lui avait décrit Steve. D'imaginer un vêtement tomber, bêtement, au sol, alors que l'imposante carrure de Steve se laissait mollement aller sur le matelas, avide de sommeil. « — Le strict nécessaire ? Cela inclut-il champagne et costumes Armani ? Si ta réponse est non, nous n'avons pas la même définition de strict nécessaire, mon cher. » Il le taquinait, de nouveau. Il aurait pu continuer toute la journée, parce que voir Steve réagir à ses pitreries, c'était le plus beau cadeau que pouvait lui faire l'univers, en cet instant. Friday l'interrompit mais Tony refusa de se laisser embringuer dans le travail ; les journalistes pouvaient attendre. Babillant, il finit par laisser le temps à Steve de répondre. Il passa la chair de son pouce sur sa barbe taillée pour y remettre de l'ordre, presque coquettement.

« — On peut continuer à parler, si tu ne sais pas quoi faire après » plaisanta le brun, sourire aux lèvres. C'était bien de Steven, de venir avec une idée sans spécialement faire de plan sur la comète. C'était presque mignon ; il n'avait pensé qu'à s'excuser, qu'à donner son avis et à clarifier la situation. Tony en fût touché. « — Une autre moto ? Ce n'est pas encore noël. J'y réfléchirai si tu es sage » mais Tony avait déjà en tête un modèle à lui créer de toutes pièces. Nul besoin de démantibuler sa monture de métal favorite. Et l'idée de lui faire ce cadeau, sans rétribution, sans rien attendre, lui donnait également envie de plusieurs plaisanteries - souriant d'un air de gamin qui prépare un mauvais coup, il ne lâcha pas Steven du regard. Mais son sourire cessa aussitôt alors que Steve revenait à un sujet qu'il avait espéré clos.

« — Quoi ? Non, non on - » Bien entendu, Friday avait entendu et elle se fit un joie de répondre, parfaitement sereine avec que Tony protestait de plus en plus fort. « — Bien entendu, Monsieur Rogers. Je disais donc que monsieur Stark a longuement discouru sur le malheur qui faisait que vous étiez à nouveau séparé, sur la perte que cela représentait à ses yeux et combien vous lui manquiez, non seulement comme allié, mais aussi comme ami. Enregistrement 15 tiret A oméga. » Tony fit les gros yeux vers le plafond alors que sa propre voix, un rien éméchée, commençait à résonner - je donnerai n'importe quoi pour qu'il revienne, Friday, il - mais d'un nouveau claquement de doigt furieux, Tony fit taire tout cela, avant de tendre un index à Steve. « — Alors, premièrement, je n'aurai pas donné n'importe quoi, calmons nos ardeurs, et Friday, petite traîtresse, vas-tu tenir ta langue ? Je suis ton créateur, un peu de respect ! Quel toupet ; je suis à deux doigts de te priver de tes cortex neuronaux émotionnels, ma jolie. » Tony avait recroisé les bras comme un gamin boudeur. « — Puisque tu es si curieux, oui, ça m'a manqué de voir ta grande carcasse traîner dans le coin. On est amis - c'est normal, entre amis, de se manquer quand on est séparés. Maintenant qu'on a sorti les violons et que ça pleure dans les chaumières, peut-on revenir à un sujet moins sentimental ? » grommela t-il, toujours aussi ironique en osant enfin reposer les yeux vers Steve.

« — Entraînement, maintenant. Et on va voir si je ne peux pas vaincre un papy de ta trempe ! » s'exclama t-il, poings sur les hanches, avant de se diriger vers leur salle personnelle de combat. Les portes de verre blindé s'ouvrirent automatiquement ; des mannequins d'entraînement, des armes et des gadgets jonchaient les divers ameublements ; Tony retira d'un air buté son sweat et massa ses épaules crispées ; de sous son débardeur blanc on pouvait voir la luminosité du coeur inséré en lui. « — Si je gagne, j'ai le droit d'ajouter de petites améliorations à ta moto ? Rien de méchant, promis, juste ... quelques retouches. » Son ton de voix faisait parfaitement comprendre que cela risquait de moyennement plaire à Steve - comme une selle ornée d'un "Stark est le meilleur" ou repeindre entièrement la carlingue à ses couleurs, faisant de Steve le hérault de sa bannière. Voilà qui serait amusant. « — Si tu gagnes - sans m'envoyer à l'hôpital - qu'est-ce que tu veux ? » Tony aimait le challenge. Il n'y avait rien qui l'excita autant qu'un défi, même quand c'était hors de sa portée. « — Pas d'armure, pour moi ; on va voir si je me souviens parfaitement de tes cours, Papy America » et il fit bouger ses sourcils de manière provocatrice. Toute cette histoire le faisait bouillir ; il n'était pas réellement impatient de taper sur Steve, mais il avait besoin de bouger, de se dérouiller, de se défouler un bon coup. Et la vision de Steve au combat n'avait jamais été déplaisante à voir.

« — Tu sais, je suis vraiment content que tu rejoinges la cause de Xavier. Je remâche les mêmes sujets encore et encore, avec pas mal de ceux qui suivent cette voie. Mais je sais que ta façon de penser amènera du neuf. Tu es un fin stratège, Steve. Tu es fort, capable et bon. Et revenir sur tes choix, t'excuser et comprendre de tes erreurs, voilà qui fait de toi un homme encore meilleur. Et puis, qu'aurais-je fait sans mon bras droit ? » Impossible pour Tony de ne pas plaisanter ; cependant, son sourire à Steve était sincère. Il voulait qu'il comprenne que Tony respectait son choix, mais n'en était que plus fier de le voir revenir vers lui, vers son camp. Sans Steve, se battre contre l'injustice n'était pas aussi gratifiant. Tony se mit en garde, les muscles bandés, le visage arborrant une mimique insolente. « — En garde, grand-père. On va voir si ma garde est aussi mauvaise que ça » et il prit une posture guerrière, ses sens en alerte, ses réflexes sur le qui-vive. S'il sortait de là sans rien de cassé, ce serait déjà bien.

Bien entendu qu'il serait extrêmement dommage de priver le monde de son charmant minois. Tony savait combien il pouvait se révéler séducteur et attirant, mais il n'avait plus joué à cela depuis bien longtemps. Avait-il perdu l'art et la manière de charmer quelqu'un ? Peut-être bien. Il avait également que le fait d'être milliardaire et célèbre rendait les choses bien trop faciles. Il n'y avait plus aucun challenge. Au moins, Steve avait été d'accord - même si, songea Tony, il aurait été plus dommageable encore que le visage de Steve soit abîmé. Il avait trop souvent vu les traits du blond couverts de son propre sang. Heureusement qu'il se regénérait rapidement, qu'il était fort, qu'il avait une santé de fer. Tony ne pouvait pas en dire la même chose - oh, certes, le virus techno-organique l'aidait depuis quelques temps, mais il grimaçait souvent en voyant les fils d'argent qui débutaient dans sa chevelure noire. Encore un peu, et il allait ressembler à Strange, avec ses tempes argentées. Ce monde était trop petit pour deux playboys multimilliardaires aux barbes fantastiques, Tony préférait laisser le côté loup d'argent au sorcier.  

« — Où est ton sens de la grandeur ? Où est ton goût du raffinement ? Où était le jaccuzzi ? » s'exclama Tony d'un air théâtral. Puis, avec un nouveau sourire : « — Savoir se satisfaire d'aussi peu, c'est tout à ton honneur. » A dire vrai, même s'il ne pouvait se défaire de l'idée de Tony habitant dans la luxueuse Tour Avengers, il comprenait sa simplicité. Steve n'était pas homme à s'entourer d'autant de richesses. Tony y vivait depuis sa plus tendre enfance ; il aimait à jouer les richissimes hommes d'affaire, et il n'était pas sans un certain goût de l'élégance et du raffinnement, mais s'il était avec ses comparses, avec ceux qu'il aimait, une vie simple lui suffirait. Pour un peu, il s'imaginerait dans un petit cabanon au milieu d'une forêt à couper du bois. Ou à regarder quelqu'un le faire, tandis qu'il sirotait un bon whisky.

Tony pesta contre Friday et s'éloigna rapidement, après avoir vidé son sac trop plein d'émotions. Il était légèrement embarrassant d'avoir cette discussion, d'autant plus qu'elle mettait à découvert un peu plus de doutes dans son esprit. Il savait que maints enregistrements qu'il avait formulé, gardés dans la mémoire de Friday, le démontraient à moitié ivre, plein de chagrin et de remords de n'avoir pas su retenir Steve. Comme un père préférant l'un de ses enfants, la compassion, la bonté de Steve avaient toujours été rafraîchissantes au point qu'il était celui pour lequel Tony avait le plus d'estime, le plus d'admiration. Son petit préféré. N'avait-il pas pris son sous aile l'homme depuis son emprisonnement dans la glace, depuis qu'il l'en avait sorti ? Depuis le départ, Steve le fascinait ; si ses pouvoirs, sa force, le sérum qui avait fait de lui le superhéros étaient intéressants du point de vue scientifique, l'âme et l'esprit du héros n'en étaient que plus délicats à analyser pour la fine psychologie de Tony. Ils se ressemblaient, tout en ayant assez de différences pour être complémentaires, en quelque sorte.

Echauffant ses muscles, Tony observa non sans sentir son souffle se couper légèrement Steve retirer la couche de vêtements de trop. Il serra les dents. C'est qu'il était impressionnant, le Captain ! Regardez-moi tous ces muscles, la ligne autoritaire de cette machoire, le - Tony arrêta son analyse avant de s'emballer. Une légère tension amicale régnait, qui faisait battre un peu plus fort le coeur du milliardaire. Comme au bon vieux temps, pensa t-il. Le défi sembla rendre Steve pensif ; Tony était juste curieux de savoir ce qu'il allait demander. Allait-il même jouer le jeu ? « — Un gage surprise ? Très bien, je t'accorde le privilège de choisir après la bataille. » Les yeux sombres captent les mouvements, et sous couvert de dévisager son adversaire, il profita de la vision face à lui. Captain, dans toute sa splendeur. Les lumières se firent moins forte, comme pour donner une atmosphère plus intime au combat, pour éviter les reflets et les distractions ; pourtant, Tony ne pouvait qu'être distrait, face à Steve qui prenait le combat autant à coeur que lui. Le brun inspira pour reprendre ses esprits ; il n'était pas l'heure de profiter du spectacle.

Ses paroles semblèrent toucher Steve et il hocha la tête, le visage sérieux. « — Je suis sincère, non pas gentil, Steve. C'est ainsi que je te vois. Quant au reste, ma foi, nous n'y pouvons pas grand chose. Nous continuerons de livrer les batailles qui nous semblent justes, de nous battre pour nos idéaux et nos valeurs. Nous aviserons sur le moment. Mais avec toi à mes - à nos côtés, » se reprit-il gauchement, « — je sais que la cause y gagne. » Steve semblait retourné par toute cette situation. Tony n'aimait pas le voir aussi troublé et doutant de lui-même ; s'il pouvait, un instant, se mettre à la place du brun, voir combien il était un homme bon qui rayonnait, solaire, peut-être aurait-il eu une vision plus positive.

Tony se mit en garde, reprenant la critique de Steve plus tôt, faisant attention à ne pas la baisser de trop. Son corps se fléchit, se voûtant pour donner plus de réactivité à sa carcasse ; il était plus petit que Steve, qui le dépassait d'une bonne tête, exsudant la puissance tranquille d'un fauve. L'ordre émit par le blond surprit Tony ; « — Tu donnes des ordres à mon IA, maintenant ? » Friday émit un bip, avant de rajouter : « — Enregistrement en cours, monsieur Rogers. » « — Et sans mon accès, donc ? Quelles cachotteries. Que veux-tu faire de cet enregistrement, dis-moi ? Le revendre au plus offrant ? » Tony eut un sourire mutin, avant de clore les lèvres. Steve lui avait fait signe de venir.

Tony s'élança, tout son poids sur un genou, fente en avant, pour un uppercut. Hélas, Steve était un trop fin renard pour se laisser avoir. Et s'enchaînèrent alors les passes, entre défense et attaque. Tony fut rapidement couvert de sueur, les dents serrées, le corps crispé sur le combat. Plus le temps, plus l'esprit à plaisanter ; il était concentré sur l'instant présent, même si une voix lui disait que Cap n'était pas à fond, qu'il ne le vaudrait jamais. Il s'améliorerait. Il le rendrait fier. Et un jour, peut-être, serait-il capable de le battre. Dans mes rêves, oui. Tony sentit son souffle s'accélerer, son sang dilater ses veines. Qu'il était bon de se donner à fond ! Il frappait, non avec force, mais avec précision. Il réussit à atteindre trois fois le Cap avant que la vapeur ne se renverse. Et, enfin, il finit au tapis, incapable de se défaire de la poigne d'une clé de bras. Il soupira et s'avoua vaincu. « — Ok, papy, t'as encore de bons restes, tu as gagné ! » Retour à la normale et aux plaisanteries. Tony se redressa, le souffle court, essuyant la sueur de son front, évitant de regarder avec trop d'insistance celle qui perlait sur le corps de l'appolon du siècle dernier. « — He ben t'es pas trop rouillé, toi non plus » grogna t-il ; très bien, il reconnaissait que c'était lui, le plus rouillé des deux.

« — Friday, de l'eau. » Sur le côté sortit du sol un banc où deux serviettes propres et de l'eau attendaient les combattants. Tony s'en saisit et, après avoir bu un gorgée, lança la bouteille à Steve, avant de prendre une serviette et de s'essuyer le cou et les épaules. « — Enregistrement terminé, monsieur Rogers. Il sera transféré sur votre serveur privé. » Friday, toujours aussi serviable. « — Au moins, j'ai fais attention à ma garde. Je crois ? » Tony reprenait son souffle doucement, passant sa langue sur ses lèvres pour y puiser un peu d'humidité. « — Je suppose que les retouches sur ta moto attendront. » Il avait dit ça d'un ton extrêmement dramatique ; le regard franc, il se planta devant Steve et planta un index sur le torse du grand blond. « — Tu as gagné. Ne me le fais pas répéter. Au vainqueur, le gage. Quel est ton souhait ? » Tony accrocha de ses prunelles noires le regard de Steve et un frisson naquit dans sa nuque, retombant le long de son épine dorsale.